Coup de chaud dans le froid
Il est toujours difficile de trouver les mots
justes pour d’écrire parfaitement ce type de situation. Comme tous
les pilotes, j’ai essayé d’imaginer quelle serait un jour ma
réaction face à une situation grave comme celle-ci ; ma
conclusion était: du stress et de la confusion.
En vérité, j’ai pu mesurer, même sur ce temps
très court, le niveau de professionnalisme que nous donne l’Armée de
l’Air. En effet, toutes les actions ont été fluides, naturelles,
pertinentes. A un moment, avec Pierre on s’est fait la même
remarque : « j’ai l’impression d’être au simulateur ».
Khabarovsk CTL est très réactif, plus aucun
trafic n’intervient sur la fréquence, nous sommes autorisés au cap
et au niveau demandé.
Bien, l’ECAM est effectué, i.e la panne est sous
contrôle, maintenant le bilan :
1-Bilan technique : « nous avons eu un feu
moteur, il est maintenant sous contrôle : ENG secured »
2-Bilan opérationnel : pas de rallumage possible,
pas de poursuite étape
3-Bilan commercial : 241 pax à loger
Les options ?
1- Tokyo, très bien pour les Pax, mais à 1H30 de vol, trop loin. Pas dans leur zone de CTL.
2-
Vladivostok, juste dessous mais brouillard givrant et très faible
visibilité
3-
Khabarovsk, bonne visi, terrain connu avec la présence de l’attaché
de l’air
La décision, simple, « Khabarovsk »
Information :
1-
le
CTL : on demande un nouveau cap et la descente vers le 200 pour
éviter le givrage (au dessus de la couche) et pouvoir consommer plus
2-
CIRCUS vert : « déroutement sur KHV cause feu moteur, présence de
l’AA impérative à l’ATR »
3-
Information de la cabine via le CCP « surtout ne faisons pas
paniquer les pax, David tu me fais un check régulier de l’état du
moteur »
4- Je fais une annonce aux passagers au PA, j’explique que pour des raisons techniques nous devons donc retourner sur KHV. Pour ce faire nous allons défueler du carburant par les vides vite. Une certaine lassitude se fait sentir chez les passagers mais aucune trace de panique : l’objectif est donc atteint.
Les relèves actuelles sur Nouméa se font en
Airbus 340 en faisant une escale par Khabarovsk (UHHH). Khabarovsk
est la capitale administrative du Kraï. Elle est située dans
l'Extrême-Orient russe, au confluent des fleuves Amour et Oussouri,
à
La cinématique est maintenant bien rodée, un
équipage amène l’avion de Paris jusqu’à Khabarovsk. Un autre
équipage, qui a été mis en place via la VAC
Aeroflot, effectue l’étape Khabarovsk
Nouméa.
Après l’escale, nous redécollons de Khabarovsk avec 241 passagers à bord à une masse de 247 tonnes dont 86 tonnes de pétrole le 09 novembre à 23H55 Z, soit le 10 novembre à 10H55 Loc. Pour un trajet prévu de 10 heures de vol passant au dessus du Japon, de Guam, des iles Salomon et enfin de Nouméa.
Nous évacuons 60 tonnes de carburant avec
l'accord du contrôle aérien russe au niveau 200, compromis judicieux
entre consommation et givrage.
Le destin nous confirme notre choix de
déroutement en faisant passer le terrain CAVOK, exit le brouillard
et le givrage.
L'avion est posé à Khabarovsk en N-1 réel, à la
grâce de Dieu, à 02H15 Z.
Au sol, les deux mécaniciens, de la TAP à bord,
examinent le moteur nº3 et concluent qu'il n'y a pas eu de feu réel.
Il s'avère que les deux boucles de détection
incendie sont tombées en panne simultanément (fait rarissime,
probabilité <10-8). La première de façon irrémédiable, et la seconde
de façon intermittente (ce qui explique la disparition de l'alarme
feu dès la coupure moteur).
L'avion est réparé et repart à 05H25Z
vers Nouméa avec le même équipage.
30 min après décollage, en passant le FL 315 vers
le 330 (notre niveau de croisière), alors qu’une bonne odeur de
croissant chaud venant du galley commence à venir caresser nos
narines, l’alarme ENGINE FIRE N°3 retentit dans le poste de
pilotage.
La réponse de l’équipage est immédiate :
FLY NAV ECAM :
1-
réduction de manette de puissance 3
2-
coupure du moteur
3-
au
moment où le PNF, après confirmation du PF, s’apprête à couper l’ENG
FIRE P/B puis donc de disher, la panne s’arrête comme par miracle.
Le temps semble suspendu…
Ouf mais pas de conclusions hâtives, pas de
fausses joies, restons concentrés. On poursuit la procédure.
Le moteur est sécurisé, maintenant la priorité
c’est la sortie de l’airway, descendre vers notre rétablissement N-1
donc affichage du 7700 et envoi d’un message de détresse (MAYDAY *3)
Par Sébastien VILLE