COMPTE RENDU MISSION A310 FRADB CTM0274

OPERATION / HAITI SEISME 2010

Mardi 12 janvier 2010  (Toutes heures locales FDF)
 
Nous quittons Las Palmas pour une traversée sans histoire, avec du vent arrière, nous avons 30 minutes d’avance à l’arrivée.
Arrivés à l’hôtel, nous apprenons qu’un tremblement de terre vient d’avoir lieu en Haïti. Je décide de prendre mon téléphone au restaurant. Vers 22h, l’Etat Major m’appelle pour me dire que nous devons nous tenir prêts. J’aurai d’autres informations à partir de 6h. Je passe dans les chambres des 9 membres d’équipage pour leur expliquer que tout le monde doit rester à l’hôtel et que je nous considère d’alerte.

Mercredi 13 Janvier 2010

Réveil à 8h: nous devons monter au terrain pour un décollage d’alerte. Nous serons CTM 0274 pour la durée de l’opération. Avec le copilote, Olivier, nous réveillons tout l’équipage, nous avalons un petit-déjeuner et arrivons à l’avion à 11h. La cabine et le technicien préparent l’avion.
12h : réunion de crise avec toutes les personnes de l’armée de l’air, de la préfecture, de la sécurité civile, de la gendarmerie, du Samu. Nous retournons à l’avion pour retrouver l’équipage qui est prêt et nous les briefons. Les médecins urgentistes rencontrés à la cellule de crise viennent à l’avion pour voir ce que l’on peut faire en terme d’Evasan massive. Ils pensent pouvoir sangler 16 civières sur les blocs de trois sièges, mais il nous faut des sangles et des pions que nous cherchons chez Air France et à l’escale militaire.
Je briefe mon équipage sur les dernières informations. Je recontacte l’Estérel pour demander un équipage en renfort, des combinaisons de vol et de la documentation (fiches de touchées-cartons décollage etc.).
17h : fin d’alerte, retour à l’hôtel, mission programmée le lendemain avec décollage à 6h.
Jeudi 14 Janvier 2010
 
3h : réveil.
6h : le chargement prend un peu de retard.
6h45 : Décollage pour Pointe à Pitre. Le premier CASA qui revient au moment de notre départ nous donne sur la fréquence toutes les informations qu’ils ont récupérées : on doit pouvoir se poser et décharger. OK, on y va !
Jusqu’à la frontière Haïtienne, c’est de l’IFR standard et après début du show : nous passons la frontière à 16000 ft au QNH d’un terrain à 300 Nm, le contrôle nous annonce qu’il y a une fréquence TWR, mais que le terrain est non contrôlé, VFR, qu’il y a du monde partout, et qu’il faut ouvrir l’œil.
Nous décidons de nous mettre en attente au dessus de la mer, en faisant des descentes progressives en auto-information. Mais il n’y a aucune méthode de travail, et aucune discipline de la part de tous nos collègues du monde : sur la fréquence, c’est chacun pour soi, le CTL ne peut pas répondre car il est systématiquement coupé. La TWR « autorise » D/L et ATR en fonction de la place sur le parking. Par 2 fois le terrain ferme 30 minutes, certains restent dans leur attente et d’autres partent. Certains font le forcing et se présentent en finale. Un avion aura l’ordre de remettre 4 fois les gaz avant d’obéir. 2 avions s’annoncent short pétrole, sans terrain de dégagement accessible ! Après près de 2 heures à tourner en assurant à 5 au poste la surveillance du ciel, sur un message litigieux à la radio, nous nous annonçons prêts à atterrir. Miracle, notre insistance paye et nous sommes autorisés, derrière un avion à 5 Nm. Pourvu que ça passe… Il dégage première bretelle. Ouf !
Le « CTL » nous demande de dégager fin de piste sur le parking ONU, mais un 737 chilien nous empêche de passer. Demi-tour et roulage vers le parking principal. Un autre 737 est sur le taxiway et nous empêche d’entrer : il pénètre sur la piste et nous passons. Pas de place sur le parking ! Nous maintenons 10 minutes moteurs tournants. Nous comprenons alors que le groupe de soldats US dans l’herbe, avec un quad et des jumelles, forment le CTL. Ces types qui font la gestion du parking se sont improvisés contrôleurs !!! Je comprends mieux…. Un A310 espagnol est au push, ils vont le repousser derrière le A 310 de Blue line, ce qui nous libère une place, très loin des standards OACI : avions très proches à gauche et à droite, et en dessous du nez. Nous aurons même beaucoup de chance qu’aucun véhicule ne nous percute pendant l’escale.
Il y a beaucoup de fret et de monde dans la zone de souffle. Je roule tout doucement. OK. Coupure moteur. Pas de cales bien sûr. On a une passerelle, les pax peuvent descendre. Pas de réseau téléphonique, personne ne sait qu’on s’est posé. Pendant que l’équipe médicale du Samu part à la recherche de blessés à ramener, de nombreuses personnes se présentent spontanément à l’avion pour que nous les sortions de cet enfer. Notre « République française » n’est pas passé inaperçu. J’essaie d’expliquer gentiment aux gens que pour nous c’est l’ambassade de France qui dresse les listes des passagers. L’ambassadeur vient à l’avion pour me demander ma dead line : je lui précise que je ne veux pas partir de nuit car je n’ai aucune information sur l’éclairage.
Les premiers blessés lourds arrivent, couchés dans des barquettes posées à même le plancher de camions militaires :  une très longue opération de chargement commence. Les blessés sont dans les barquettes pendant que l’équipage les sangle le plus convenablement possible.
Des pompiers montent avec des bouteilles d’oxygène : les blessés intubés en ont besoin. Nous avons 85 pax : 12 sur des civières, 1 couché par terre, 2 femmes enceintes (une de 9 mois), une vingtaine d’enfants. Tout ce petit monde est plus ou moins blessé. L’ambassadeur revient à l’avion pour nous dire que nous pouvons partir, nous prendrons les autres demain.
La nuit est en train de tomber : la piste est éclairée, c’est déjà ça.
Un couple puis une dizaine de personne se précipitent vers l’avion en nous faisant des signes désespérés pour que nous les prenions. Je demande au technicien au sol qui est sur le point de nous repousser de les aiguiller vers notre ambassade. Cela ne les décourage pas mais je ne peux pas mettre en route avec ces personnes devant mes réacteurs ! Je leur écris un message sur une feuille qu’Olivier leur envoie par la fenêtre : « Je dois partir, allez à l’ambassade de France, nous revenons demain. Signé : Le Commandant de Bord ». Et nous partons la mort dans l’âme, en abandonnant nos compatriotes.
Nous venons de faire 7 heures d’escale…
Décollage, montée, transfert… Avons-nous un plan de vol ? Le CTL est totalement saturé, tous les terrains alentour également, nous voyons des avions dans l’attente de Las Americas étagés jusqu’à 13000ft.
Nous nous posons enfin à Pointe à Pitre. Le vol s’est moyennement passé : une patiente a été réanimée pendant 45 min. A l’arrivée elle est toujours « en vie », merci aux médecins qui ont attendu d’être à l’hôpital pour la déclarer décédée. Les valides descendent, mais l’hôpital de Guadeloupe, en voyant la gravité des blessés, ne peut prendre que la moitié des patients. Nous apprendrons également le lendemain que l’enfant au crane écrasé qui a voyagé par terre (parce que c’était la moins pire des solutions pour lui) décèdera dans la nuit.
Nous repartons pour Fort de France avec les 8 blessés restant. Pendant le briefing avant mise en route, nous entendons un des enfants hurler de douleur.
A l’arrivée, le LCL xxx nous demande quand nous pouvons repartir. Allez, j’opte pour un repos mini et tout l’équipage est ok. Demain 14h loc et 2 pilotes viennent d’arriver de Creil.
2h30 le 15 : arrivée à l’hôtel. Nous réveillons les deux pilotes qui sont donc arrivés depuis quelques heures. Nous leur donnons les éléments pour qu’ils préparent la suite.
Au moment où je me couche, mon réveille sonne : nous sommes donc levés depuis 24heures.

 
Vendredi 15 janvier 2010
 
8h : Je retrouve tout l’équipage au petit déjeuner. Les PNC sont très marqués par l’Evasan qu’ils ont vécu la veille. Aucun d’entre eux n’avait imaginé qu’une Evasan massive serait aussi dure à gérer. Ils se sont tous retrouvés à faire aides-soignants… Et ce n’est pas non plus leur métier. Bravo à eux pour cette première journée !
14h: M/R refusée, l’espace aérien est fermé !!!
Stang est aux commandes, lire son compte rendu pour cette rotation.
En résumé, nous aurons fait plus de 8h de vol, un dégagement à St Domingue-Las Americas, 2 tentatives pour se poser, 1h50 et 1h30 d’attente, pour rien.
 
Dimanche 17 janvier 2010- Rotation n°2
 
10h : nous quittons l’hôtel.
12h30 : Roulage avec 102 pax et 5t2 sur 3 palettes.
Arrivons à Slot-15 min : maintient à 16000ft dans l’attente sur l’axe de Ganiv.
Autorisé à descendre vers 5000ft, puis nous sommes autorisés à nous présenter. Lorsque nous passons avec la tour, un C-17 de l’Usaf s’annonce sur la finale 1 Nm devant nous. Nous sommes IMC et initions immédiatement un 360 par la gauche pour tenter de s’espacer.
Nous nous représentons en finale, cette fois-ci 6 Nm derrière. Un autre C-17 est derrière nous.
Le parking est toujours aussi encombré, mais il y a moins de piétons partout.
Nous perdons 45 minutes pour trouver un loader pour décharger l’avion. Une grosse partie du travail se fait à la main : les pax mettent la main à la pâte. Je n’ai toujours aucune information sur les pax retour.
70 pax arrivent à 20 minutes de la fin du slot, on met leurs bagages sur la palette avant qui est restée au sol. Le CCP et le CC font la palette pendant que tous les MTA font l’accueil des pax et qu’ils les placent dans l’avion où je leur dis. Slot+20 minutes : la cellule de crise de l’ambassade à fait le tour de l’aéroport et nous a trouvé 30 pax de plus. Une longue file d’attente s’organise sous l’avion, une secrétaire de l’escale rédige le manifeste au pied de l’avion, avec un officier de la gendarmerie qui vérifie les passeports.
Slot +55 minutes : push effectué par les moyens civils haïtiens. Pour les américains, nous sommes le gros avions blanc avec 2 moteurs et des rayures bleues et rouges…
Nous décollons 1 minute derrière un E-2C greyhound A la frontière activation du plan de vol à destination de Pointe à Pitre.
Cette journée aura encore été très riche et tous les membres d’équipage auront eu un comportement exemplaire. Je suis fière d’être CDB de cette équipe (PNT PNC CVR et TECH) !!!
Mercredi 20 janvier 2010
 
Dans l’après-midi, l’A340 rentre en métropole après avoir changé de cabine. Ils ramènent en métropole les passagers que nous aurions du ramener la semaine précédente.
Stang doit faire une rotation dans la nuit du 21 au 22, et je dois ramener l’avion à Paris à l’issue.
On commence à nous parler d’un grand groupe d’enfants, ainsi que de cercueils.
 
 
Vendredi 22 janvier 2010
 
5h : nous retrouvons Stang et son équipage à l’avion. Il y a en soute 4 cercueils, les enfants reviennent à 6h.
6h38 : push. Notre charge finale nous permet un retour direct. A l’arrière, notre avion ressemble à une crèche. Nos hôtesses se sont transformées en puéricultrices !
Enfin Roissy. Au parking du terminal 3, les secouristes de la Croix-Rouge prennent en charge les enfants.
 
Cette fois c'est bien terminé !!!
Sans doute les 2 semaines les plus denses de mes 19 années de service !
 
Je retiens de tout ceci que lorsqu’il s’agit de sauvetage de vies humaines, les intérêts individuels s’effacent. L’escale d’Air France à FDF a rapidement réorganisé ses équipes pour tourner H24, ce qui était inespéré pour nous ; nous ne pouvons rien faire sans assistance. Et en plus, en nous remerciant pour le travail fourni ! Le catering nous a livré des repas au milieu de la nuit, alors même qu’ils sont fermés. Air Caraïbe nous a prêté gracieusement des gilets de sauvetage enfants en vidant un ATR 42 ! L’hôtel ou nous étions logés a reconduit notre réservation de jour en jour puisque nous n’avions aucune lisibilité sur l’avenir. 
Les personnels de l’escale militaire ont fait un très gros travail pour gérer les chargements et déchargements, les embarquements, en ne ménageant pas leur peine aux escales ; ils nous ont également aidés à assurer la surveillance du ciel pendant les phases d’approche à PAP.
Tous les membres d’équipage ont largement travaillé au-delà de leurs fiches de poste, sans savoir quelle pourrait être notre date de retour, et sans faire le moindre commentaire négatif.
Bien que très difficile, je crois pouvoir dire que nous étions tous heureux de participer à cette mission, et chacun a fait ce qu’il fallait pour que cela fonctionne.
Merci à tous. 
par Barbara BRUNET